Intérêt patrimonial
Contemporain de la tour Eiffel (1889), le pont Colbert est le dernier plus grand pont tournant d’Europe en fonction dans sa configuration d’origine. Il est un signal incontournable du paysage urbain de Dieppe, un élément majeur du patrimoine local mais aussi haut-normand et au-delà.
Unique également son mécanisme d’origine, dont l’illustre « cousin » est celui de Tower Bridge à Londres (intégralement conservé – automatisé en 1970). Le pont Colbert, ce sont aussi des hommes qui perpétuent un savoir faire centenaire en maniant avec précision et légèreté une masse de plus de 800 tonnes. Nombre de pièces d’usure sont réusinées sur place. À sa manière, le pont Colbert illustre aussi un fonctionnement durable avec l’utilisation d’eau, sans oublier l’indispensable fumier de l’hiver !
Du centre ancien de Dieppe, il est le trait d’union avec le quartier du Pollet. Avec l’élégante cabine de manœuvres, sa silhouette aux croix de Saint André si caractéristique en fait le monument emblématique de tout une ville. Présent dans les brochures de « Dieppe Ville d’art et d’Histoire » aux côtés du Château musée, il est aussi source d’inspiration pour les artistes à l’image du peintre anglais Gilman.
Le pont Colbert de Dieppe est un fleuron du patrimoine technique et portuaire et mérite, à ce titre, un égard particulier. Le maintenir en état de marche est une nécessité pour sa mise en valeur et celle de tout un territoire. Or, il ne bénéficie d’aucune protection. La liste des ponts du XIXe siècle classés ou inscrits Monuments Historiques comprend quelques rares exemplaires métalliques restaurés. Le pont Colbert y a toute sa place.
Conçu par l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Paul Alexandre, il est dessiné dans un souci esthétique d’intégration urbaine et paysagère. Le choix des croix de saint André est justifié dans les notes de l’ingénieur lui même.
Surnommé tour à tour, Grand Pont, Pont Neuf ou encore Pont qui tourne, il ne sera inauguré réellement qu’en 1925 (!) et finalement baptisé Pont Colbert très probablement en lien avec la venue à Dieppe de Jean-Baptiste Colbert en 1672, suite à l’encombrement du port par les galets. Colbert favorisa l’amélioration du port deDieppe et décida son agrandissement.
Contexte historique du pont Colbert
Sous la IIIe république, Charles de Freycinet, Président du Conseil, lance un programme de grands travaux. Soucieux de stimuler le commerce du pays, il développe les voies de communication et les ports nationaux.
Parmi eux, Dieppe se trouve dans les premiers rangs, voué à une transformation majeure. La loi sur l’amélioration et l’agrandissement du port de Dieppe est promulguée en 1880. Une vaste opération nécessitant le percement d’un chenal débute. 173 immeubles sont détruits. Le quartier des pêcheurs dit du Pollet ainsi bouleversé est désormais divisé en deux et isolé de la ville centre. En 1887, les bassins de commerce sont creusés.
Au milieu de cette même année, on décide la construction d’un ouvrage pouvant enjamber le chenal large de 40 mètres. Le choix s’était déjà porté dès 1883 sur un pont tournant.
Conçu par l’ingénieur en chef, Paul Alexandre, il est dessiné dans un souci esthétique d’intégration paysagère.
Le choix des croix de saint André est justifié dans les notes de l’ingénieur lui même. Assemblé en quatre mois seulement, il est mis en service le 1er janvier 1889 après des essais de charge (320 kg/m2) plus que concluants.
Surnommé tour à tour, Grand Pont, Pont Neuf ou encore Pont qui tourne, il ne sera inauguré réellement qu’en 1925 (!) et finalement baptisé Pont Colbert probablement en lien avec la venue à Dieppe de ce dernier en 1672.
Détruit en 1944, il sera reconstruit à l’identique.
Situation de l’ouvrage dans la ville
Le pont Colbert est situé dans le quartier populaire et protégé du Pollet (secteur 1 de la ZPPAUP* de Dieppe), à l’est de la ville.
Pensé dans sa conception pour assurer un rôle d’importante voie de communication, il est en effet le seul lien entre le Pollet et le centre ville.
Malgré le contournement routier du quartier par une rocade, l’ouvrage est toujours très sollicité,subissant le passage de milliers de véhicules et de centaines de piétons par jour.
De par cette situation, l’avenir du pont est intimement lié à celui de tout un quartier.
* Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager
Données techniques générales
L’ ouvrage d’art est une imposante structure en fer puddlé et laminé, technique choisie pour la facilité de mise en œuvre de formes. Sa largeur est de 8,60m pour une hauteur maximale de 7,113m. La longueur totale tablier est de 70,5 m, dont 47m de long pour la volée et 23,5m pour la culasse.
Les éléments(cornières, fers plats, poutres en treillis, croix de Saint André et profilés en I) ont été préfabriqués et pré perforés en atelier et assemblés sur place.
La masse totale d’origine du pont est de 810 tonnes répartie comme suit:
- 499 500 kg pour le tablier,
- 234 500 kg pour le lest,
- 40 300 kg pour le chevêtre,
- 36 000 kg pour la partie du mécanisme fixée au tablier.
La masse totale a augmenté avec la mise en place des trottoirs en encorbellement en 1938. Toutefois, le remplacement du platelage de bois par un caillebotis métallique a contribué à alléger la structure.
La machinerie est hydraulique et utilise l’eau. Une fois pompée, l’eau incompressible transmet intégralement les pressions qu’on lui fait subir. Le mécanisme qui assure le mouvement du pont est un appareil funiculaire de rotation. Avec 50 bars de pression, celui-ci est actionné par deux énormes vérins qui entraînent une lourde chaîne (plus de 200 maillons de 14 kg) autour du pivot.
Le pont tourne en cinq étapes:
- la pression est donnée dans la presse centrale, le pivot se soulève,
- la pression est donnée dans les presses de basculement, le tablier se soulève,
- décaler la culasse pour la libérer,
- faire basculer le tablier, poser les galets sur leurs rails,
- faire tourner le pont en mettant en communication l’appareil funiculaire avec l’eau sous pression.
Deux hommes manœuvrent le pont :
- le manœuvrier officie dans la cabine
- le machiniste est chargé de régler la circulation au moyen de feu clignotants et de barrières.
Les deux agents actionnent le pont au rythme des marées. Si une manœuvre s’effectue avec grande aisance en 2 à 3 minutes, il est possible d’abaisser la durée à 90 secondes.
Les travaux d’entretien consistent à graisser toutes les 3 semaines roulettes et pistons, piqueter la rouille, remplacer les caillebotis. Soudeurs et chaudronniers interviennent ponctuellement sur la structure.
Mais la caractéristique la plus originale est l’emploi du fumier les mois d’hiver (17 à 22 tonnes dès octobre) et d’un brasero alimenté au coke(à partir de -8°C), seul moyen efficace de mettre le mécanisme hors gel ! Avec l’emploi de l’eau douce, il s’agit d’un véritable fonctionnement durable avant l’heure.
Constructeurs du Pont Colbert
Société Fives-Lille Cail pour le mécanisme, qui a réalisé les ouvrages suivants :
- Pont levant d’Arenc – Port Autonome de Marseille (1889),
- ensemble passerelle et pont levant, rue de Crimée (1885) sur le canal de l’Ourcq – Paris 75019.
Société des Ponts et Travaux en fer (aujourd’hui Eiffage) pour le tablier métallique et la superstructure, et qui a réalisé les ouvrages suivants :
- Grand Palais – Paris (1900),
- Pont ferroviaire – Villeneuve Saint Georges,
- Pont des Arches – Digne les Bains (1894)
Tous ces ouvrages sont en service, certains récemment restaurés et protégés.
La cabine de manœuvres et la salle des machines
Elles font parties intégrantes du pont. La cabine de manoeuvres est reconstruite en 1946 mais abrite les instruments de commande d’origine.
C’est une structure métallique à quatre faces largement vitrées pour les besoins de visibilité des pontiers.
Elle porte aussi la signature de Jean Prouvé. Le célèbre designer est l’auteur du mobilier technique (disparu), d’éléments de façades et du auvent protégeant de la pluie, eux toujours en place.
La salle des machines, quant à elle, est une construction de béton de style 1950 au dessin fonctionnel. Un balcon original rappelant le langage maritime couronne la grande entrée en façade tronquée, à l’angle du quai de la Somme et de la rue des Capucins. Les façades principales arborent des panneaux aux graviers apparents. À l’étage se situent les appartements de fonction.
Les dates clés
XIXième Siècle :
- 1883 : projet de réalisation d’un pont tournant
- 1887 / 1889 : construction et mis en service du Grand pont
XXième Siècle :
- 1929 : remplacement des machines à vapeur par des moteurs électriques (2 pompes de 90 CV)
- 1938 : suppression de la bande centrale inadaptée au passage des voitures et des cycles, pose des trottoirs en encorbellement
- 1944/1946: dynamitage par l’armée allemande en 1944, reconstruction à l’identique et remise en service en juillet 1946
- 1961 : suppression de la machinerie centrale qui alimentait le pont
- 1980 : remplacement du platelage en bois d’azobé par un caillebotis métallique
- 1986 : mise en place d’un équipement de télé-surveillance
- 1989 : grande fête à l’occasion de la célébration du centenaire du pont, édition d’une flamme postale
- 1999 : travaux de confortement de la structure métallique
XXIième Siècle :
- 2009 : édition d’un timbre postal, exposition pour les 120 ans du pont
- 2009 : Projet de remplacement du pont avec prévision de sa destruction !!!
Petite anecdote – le mystère Eiffel
Après que les ingénieurs des Ponts et Chaussées aient élaboré les plans du pont Colbert, on fait appel aux constructeurs auxquels on envoie un important cahier des charges.
Parmi les adjudicateurs, le plus célèbre d’entre eux est Gustave Eiffel – déjà constructeur en 1870 du pont de l’écluse Duquesne à Dieppe aujourd’hui disparu. Mais le nom d’Eiffel est rajouté à la main en fin de liste, alors qu’il est officiellement sollicité !
Cette rectification intervient tardivement : une tentative d’éviction ?
La Société des Ponts et Travaux en fer emporte finalement le marché avec un devis de 21% moins cher.
Ci-dessous, courrier du 10 mai 1887 de Gustave Eiffel en réponse à Paul Alexandre, ingénieur des Ponts et Chaussées à Dieppe, confirmant bonne réception de l’affiche de l’adjudication, du cahier des charges, du bordereau des prix et du détail estimatif concernant le projet de construction du pont Colbert.
Petite anecdote – la reconstruction de 1944 à 46
État du pont Colbert au lendemain de la guerre.
Si l’ouvrage a été détruit sur 12 mètres de long, le mécanisme a peu souffert, excepté le pivot.
Après la consolidation du quai par les forces alliées, la reconstruction commence.
La pénurie de matières premières et de mains d’oeuvre fera que le chantier durera presque deux ans.
Petite anecdote – les deux autres ponts du même type
Les autres grands ponts tournant portuaires construits à la même époque en Europe n’excèdent pas une trentaine de mètres en général, excepté ceux d’Édimbourg et de Marseille.
- Victoria Bridge (première photo) – port de Leith – Edimbourg, Ecosse
Construit en 1874, le Victoria swing bridge a été conçu pour assurer le transport des marchandises entre les parties Est et Ouest des docks du port de Leith (Edimbourg). Il était doté de deux voies ferroviaires. Avec son tablier de 67 mètres, le pont Victoria de Leith était le pont tournant le plus long d’Europe avant… la mise en service du pont Colbert. Aujourd’hui protégé par décision de la Commission Royale des Monuments Anciens Britanniques, l’ouvrage a bénéficié d’une restauration.Pont d Arenc Les docks ont été réhabilités en tertiaire dans ce coin de port. Mécanisme déposé et plancher bois, le pont est désormais réservé aux piétons et aux cyclistes. Photo Dave Henniker – Scotland ©
- Pont d’Arenc (seconde photo) – Port Autonome de Marseille
Le pont d’Arenc à Marseille a été mis en service en juin 1889. Il est destiné à relier le côté « Terre » (quai côté Arenc à l’Est) au côté « Mer » (Digue du grand Large à l’Ouest). C’est un pont à une seule arche métallique avec réseaux de poutrelles sur les côtés et sur le dessus. Avec plus de 95 mètres de long, il ravit la place au pont Colbert, lequel ne sera le plus long d’Europe « que » pendant six mois… Toujours en service pour la circulation automobile, le pont d’Arenc a été électrifié début 2000. Non protégé, il toutefois est répertorié à l’Inventaire général du patrimoine culturel (Service Inventaire Région Provence Alpes Cotes d’Azur).